Les mouvements afroféministes et féministes noirs : Créer des ponts pour mieux avancer ensemble

Les mouvements féministes noirs et afroféministes, portés par des femmes noires et des minorités de genre, incarnent une lutte fondamentale contre les oppressions systémiques à l’intersection de la race, du genre et des inégalités économiques. Cependant, bien que ces mouvements partagent des objectifs similaires, les collaborations entre l’Europe et le continent africain restent rares.

Quelles sont les barrières à cette coopération transnationale ? Et comment créer des ponts solides pour renforcer nos luttes ? Ces questions ont émergé lors de plusieurs événements récents auxquels j'ai participé, notamment l’Université d’été féministe d’Afrique de l’Ouest et Centrale au Sénégal, ainsi que la FIERCE Week à Venise. Entre constats de fragmentation et opportunités à saisir, cet article propose une réflexion sur les moyens de dépasser ces divisions pour construire un féminisme noir global.

Un héritage commun, mais des réalités divergentes

Les racines des mouvements féministes noirs se trouvent dans l’histoire de résistance des femmes noires à travers le monde, qu’il s’agisse des luttes contre l’esclavage, le colonialisme ou les discriminations systémiques contemporaines. Cependant, les contextes africains et européens ont façonné ces luttes de manière différente, créant des priorités et des défis spécifiques.

  • En Europe : Les femmes noires et les minorités de genre doivent composer avec un racisme institutionnalisé, des politiques migratoires restrictives et une invisibilisation persistante de leurs luttes. L’afroféminisme européen s’est largement construit autour de la dénonciation des oppressions raciales et sexistes dans des sociétés post-coloniales.

  • En Afrique : Les féminismes noirs se concentrent sur des questions de droits reproductifs, de lutte contre les violences économiques et genrées, et de revendication d’autonomie politique et sociale. Cependant, ces luttes locales ne peuvent être dissociées des impacts persistants du colonialisme et du néocolonialisme. Les politiques néocoloniales, les dynamiques de dépendance économique, et les systèmes de gouvernance influencés par les anciens colonisateurs continuent de conditionner les réalités socio-économiques des pays africains, façonnant ainsi les priorités et stratégies des mouvements féministes noirs.

Cette dualité montre que si les féminismes africains sont profondément ancrés dans des contextes locaux, ils sont aussi connectés à des dynamiques globales d’exploitation et de domination, héritées de l’histoire coloniale. Cette complexité est à la fois un défi et une force pour établir des alliances transnationales.

Les défis de la coopération transnationale

Malgré leur potentiel, plusieurs obstacles freinent la création de ponts solides entre les féminismes noirs des deux continents :

  1. Agendas saturés par les urgences locales :
    Les organisations féministes européennes doivent répondre à des urgences spécifiques comme les élections, les violences policières ou la montée des populismes. En Afrique, les mouvements féministes noirs doivent prioriser les enjeux de développement économique, d’accès aux droits reproductifs et de lutte contre les violences systémiques.

  2. Manque de ressources financières et structurelles :
    La majorité des organisations féministes noires sont sous-financées. En Europe comme en Afrique, ce manque de moyens freine les actions transnationales.

  3. Une méconnaissance mutuelle :
    Les féminismes africains sont souvent perçus en Europe sous l’angle réducteur des mutilations génitales féminines ou des mariages précoces, occultant la richesse et la diversité de ces mouvements. De même, les luttes afroféministes européennes restent souvent invisibles sur le continent africain.

  4. Des espaces de dialogue limités :
    Lors de la FIERCE Week à Venise, j’ai été frappée par l’absence de représentations POCs et encore moins de mouvements afroféministes dans un espace pourtant dédié aux féminismes en Europe. Cela montre un besoin urgent de créer des espaces inclusifs où les femmes noires et les minorités de genre peuvent dialoguer librement.

Créer des ponts : pistes pour avancer ensemble

Malgré ces défis, il existe un immense potentiel pour construire des ponts solides et durables entre les mouvements féministes noirs des deux continents. Voici quelques pistes concrètes :

  1. Lancer des espaces de dialogue accessibles :
    Des initiatives comme des lives sur Zoom, de 30 minutes suivis de discussions, pourraient connecter les organisations des deux continents. Ces échanges réguliers permettraient de partager des stratégies, des récits et des visions communes.

  2. Documenter et valoriser les luttes locales :
    Il est essentiel de donner plus de visibilité aux luttes des femmes noires en Afrique et en Europe, tout en valorisant les initiatives communautaires. Cela pourrait se faire via des podcasts, des plateformes numériques ou des campagnes conjointes.

  3. Collaborer malgré les budgets limités :
    Les collaborations ne nécessitent pas toujours des financements massifs. Des partenariats informels, des campagnes de sensibilisation en ligne ou des échanges de ressources peuvent initier des collaborations transnationales efficaces.

  4. Mettre la philanthropie au service des féminismes noirs :
    Comme l’indique un article d’Alliance Magazine, les bailleurs de fonds doivent adopter des approches flexibles et durables pour soutenir les organisations féministes noires. Investir dans des projets transcontinentaux est essentiel pour établir des alliances durables.

  5. Centrer les voix des concerné·e·s :
    Les collaborations doivent s’appuyer sur les femmes noires et les minorités de genre elles-mêmes, qu’elles soient en Europe ou en Afrique. Trop souvent, les féminismes noirs sont interprétés ou représentés par des acteurs extérieurs.

Un avenir féministe noir global : avançons ensemble

Les féminismes noirs, portés par des femmes noires et des minorités de genre, sont à la fois résilients et transformateurs. Mais pour maximiser leur impact, ils doivent dépasser les frontières géographiques et s’unir autour de leurs objectifs communs : la justice reproductive, l’égalité des genres et la lutte contre les oppressions systémiques.

Tant que je serai Noire s’engage à créer des espaces de dialogue et de collaboration pour renforcer ces ponts indispensables. En combinant les forces des mouvements féministes africains et afroféministes européens, nous pouvons bâtir un mouvement global qui transforme non seulement nos réalités locales, mais aussi les structures globales d’oppression. Parce qu'avancer ensemble, c’est avancer plus fort. 🌍

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