17 Oct
3
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Voix africaines : entre héritage et modernité

Je ne suis pas sociologue.

Je ne suis pas historienne.

Je ne suis pas journaliste.

Je suis une fille, une mère, une sœur, une nièce, une cousine, une tante, une amie.  

Je suis une femme afropéenne, afroféministe.

Comment parler de patriarcat et de féminisme à ma mère, ma sœur, ma nièce, ma cousine, ma tante, mes amies ; mais aussi à mon père, mes frères, mes neveux, mes cousins, mes oncles, mes amis ?  

Comment franchir le “mur” que représente l’argument des “valeurs africaines”, que je comprends sur certains points mais réfute frontalement sur d’autres ? Nous, Africains, afro-descendants, ne sommes pas condamnés à nous définir par rapport aux “Occidentaux”... Mais c’est un autre débat.

Pendant longtemps, je n’ai pas voulu être associée au féminisme. Pour moi, c’était un concept occidental, des femmes blanches – les Femen – qui montraient leurs seins nus. Je me suis arrêtée à cette image et n’ai pas cherché plus loin. Dans mon imaginaire, le féminisme était un mouvement de femmes blanches rassasiées, dont les besoins vitaux étaient comblés, et qui cherchaient une nouvelle façon d’exister.

Or, en y repensant, avoir dans mon imaginaire des figures féministes me ressemblant, sachant parler mon “langage”, m’aurait permis d’aller plus loin dans ma réflexion.

Je repense à mon adolescence, lorsque mon corps a commencé à se transformer. Mon entourage me répétait qu’il fallait faire attention à ne pas “être vilaine”. Les sifflements dans la rue devenaient fréquents, et je commençais à percevoir le fait d’être une femme comme une entrave. Chaque regard, chaque commentaire, me rappelait les limites invisibles mais bien réelles imposées à ma liberté. Ma liberté de mouvement se restreignait, et on me qualifiait d'insolente lorsque je refusais de me laisser faire. Vers 16 ans, j’avais décidé de ne pas me marier et de ne pas avoir d’enfants. Ce choix, bien que personnel et valable, était en grande partie motivé par les modèles que j’avais autour de moi : des violences physiques, psychologiques, économiques, sexuelles... Je voulais être libre et indépendante financièrement, loin des cycles de dépendance et de souffrance que j’observais autour de moi. Cette décision m’a isolée, car je reprochais aux femmes de mon entourage de ne pas pouvoir ou vouloir jouir de cette liberté. Pendant longtemps, je n’ai pas noué d’amitiés féminines, étant fréquemment critiquée et entendant que les hommes étaient ainsi et que la société fonctionnait de cette manière. On me répétait qu’il fallait que je mûrisse et que je m’y fasse.

Aujourd'hui, je m’interroge sur ce que traversent les femmes dans nos communautés lorsqu’elles deviennent mères ou choisissent de ne pas l’être. Comment sont-elles traitées lorsqu’elles divorcent ? Comment sont-elles accompagnées pendant la périménopause et la ménopause ? Que vivent-elles lorsqu’elles partent à la retraite si elles ont eu un emploi rémunéré ? Vers quoi rediriger leur énergie, comment continuer à se sentir utiles, bien dans leur corps et dans leur tête, alors que la société leur “impose” une date de péremption ? Quelle est la situation économique des femmes à chaque étape de leur vie ? Comment se sentent-elles dans leur corps, dans leur sexualité ? Quel rapport au plaisir entretiennent-elles au fil des saisons de la vie ?

Ces récits existent-ils dans nos communautés afro-descendantes, en Afrique ? Je pense que oui, mais comment les diffuser plus largement ?

Et les hommes dans tout cela ? Comment élever nos fils pour qu’ils trouvent leur place sans occuper tout l’espace ? Comment les valoriser en tant qu’hommes racisés et tenir les stéréotypes négatifs à distance, sans céder à ce que je perçois comme une masculinité toxique ?

De plus, comment établir une distance saine avec l’héritage – à défaut d’un autre terme – de l’esclavage et du colonialisme, qui persistent encore aujourd’hui et polluent nos imaginaires ?

Le féminisme, c’est s’émanciper et chercher à vivre dans une société moins violente. L'afroféminisme, en outre, répond aux réalités spécifiques des femmes africaines et afro-descendantes, confrontées aux séquelles du colonialisme et aux systèmes patriarcaux locaux. Par exemple, il aborde les défis uniques liés à la représentation médiatique des hommes et femmes noires. Il permet de repenser notre relation au monde en tenant compte de nos cultures et de nos histoires. Plutôt que de se focaliser uniquement sur le genre, l'afroféminisme aborde également les questions de race et de classe. Il vise à améliorer le quotidien des hommes et des femmes en valorisant nos identités uniques, en encourageant une relation saine avec notre corps et notre plaisir, et en promouvant la vulnérabilité comme une force. En honorant nos histoires, en écoutant nos voix et en partageant nos expériences, nous pouvons transformer nos imaginaires (et ceux des autres) et créer une société plus juste pour tous.

Une autrice contemporaine que j’admire particulièrement, qui parle d’hommes et de femmes noires ayant une existence propre, de la profondeur et de la complexité (au-delà des stéréotypes) : Léonora Miano.

Un podcast, en plus de celui de TQJSN, qui fait parler des voix africaines sur ces thématiques : “Bas les Pattes !” de Kpéhani Traoré. J’espère qu’il y aura une saison 3.

Et vous, quelles sont vos recommandations de lectures ou d’écoutes dans l’espace africain francophone pour aider à faire évoluer nos imaginaires ?

Car oui, il y a toujours eu des hommes et des femmes féministes en Afrique !

Article signé : Cynthia