10 May
4
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Chronique #4 d'ADT : La charge mentale

Charge mentale...charge mentale. Encore et encore. Je n'ai que ce mot à la bouche me dit mon conjoint. Il en peut plus de l'entendre. J'ai même interdiction d'en parler en présence de notre fille. Pour ne pas endoctriner cette dernière avec "mes délires de feministe". Même si je ne me suis jamais définie en tant que telle. Je sais juste que j'en ai ras-le-bol d'être la bonne à tout faire. Tout penser. De me mettre tout le temps en dernière position. Même quand il s'agit de ma santé. Rien ne presse me concernant. Les enfants d'abord. Toujours et encore. Monsieur se plaint de ma dévotion envers eux. Il se sent délaissé. Je ne cuisine plus autant. Le panier à linge sale déborde. Je passe mes journées en pyjama.

Mes ambitions professionnelles ? N'en parlons même pas ! Difficile de m'y consacrer à temps plein. Et surtout avec sérénité. J'ai repris le travail quand ma fille avait un an. Je l'aime de toutes mes forces, mais qu'est ce que j'avais hâte de faire autre chose que materner. Puis, j'ai vite déchanté. Hélas, je ne fais pas partie de celles qui allient admirablement vie professionnelle et vie de famille. Je voulais être une mère parfaite pour ma fille.Tout en étant une parfaite ménagère, et épouse d'un mari souvent absent pour son travail. Je finis par tomber malade. Je lâche mon boulot. Deviens femme au foyer. Tout ce que je ne voulais pas être. Bébé 2 pointe le bout de son nez. Quel bonheur de l'avoir !  Mais je me sens plus que jamais prisonnière.

Bienvenue dans l'ambivalence de la maternité.

Les rares fois où je suis seule, je m'imagine toutes sortes de scénarios. Celui qui revient le plus souvent, est celui où je pars. Je n'assume plus toutes ces responsabilités qui parfois m'étouffent. Je suffoque. Chaque geste de la vie quotidienne me demande un effort colossal. Je me réveille déjà fatiguée, lassée. Peu importe le nombre d'heures de sommeil. Il n'est pas réparateur. Je n'ai plus d'énergie, ni pour moi, ni pour mes enfants, et encore moins pour mon époux. Je n'ai même plus d'énergie pour apprécier les choses simples de la vie. La charge mentale me consume à petit feu. Avec une accélération remarquable en période de ramadan. C'est le moment où les tâches ménagères sont multipliées par dix, le sommeil déjà léger avec des enfants à bas âges, mis à l'épreuve. J'ai fait l'expérience du burn parental.

Maintenant, je goûte au burn out ménager en cette période de ramadan. Tout me submerge. La vaisselle, la cuisine, la lessive, le ménage. Je ne sais plus par où commencer. Je ressens des douleurs horribles, partout dans le corps. Je n'arrive plus à rester debout longtemps. Et à cet instant précis, je me demande, comment sommes-nous arrivés à ce stade ? Ce déséquilibre dans la gestion des tâches quotidiennes et des enfants entre mon mari et moi.

L'impact de la charge mentale sur la santé mentale des femmes -  Cosmopolitan.fr

Ce questionnement me fait remonter dans ma socialisation dans une famille sénégalaise et musulmane. Le rôle de la femme et de l'homme est bien défini, tantôt par la religion, tantôt par la culture. Nettoyer, nourrir, blanchir, prendre soin des enfants et du mari, incombent à la femme. La charge financière revient à l'homme. Néanmoins, il n'est pas rare de voir au Sénégal, des femmes qui entreprennent pour combler les déficits d'un époux censé subvenir aux besoins de sa famille. Sciemment, on m'a socialisé en tant que jeune fille docile, serviable, capable de prendre en charge les tâches ménagères, dans l'optique de mieux me préparer à gérer mon propre foyer sans doute. Adulte, j'ai beau avoir fait des études, être consciente de la condition féminine, être émancipée, ma socialisation primaire me poursuit. Elle est ancrée au plus profond de moi. Elle ressurgit naturellement à mon mariage. Mon foyer, le lieu par excellence, où j’applique la division sexuelle des rôles. Je décline toute proposition d'aide venant de mon mari. Je me convainc que c'est moi la femme, la seule capable de parfaitement réaliser les tâches ménagères, prendre soin de lui et des enfants. Il finit par se complaire dans son rôle de chef de famille, garant de la sécurité financière et physique de sa famille. À deux, j'arrivais à ternir le rythme de la femme parfaite. Avec deux enfants en plus, je suis au bout du rouleau. Je ne veux plus être une femme parfaite, ni une mère parfaite, ni une professionnelle parfaite. Je ne veux plus prendre en charge toutes ces tâches ingrates. Je ne veux plus m'oublier en endossant tous ces rôles.

Ma fille, si un jour tu décides de fonder une famille, s'il te plaît, ne t'oublies pas. J'essaierai, dans mon éducation, de faire en sorte que ton frère soit aussi impliqué que toi dans les tâches de la maison. Non, chez nous, tu ne seras pas celle qui fera la vaisselle avec maman pendant que ton frère et papa jouent aux échecs. Tu ne seras pas celle à qui on apprendra à faire la cuisine, à servir, à faire le linge, à plier, à ranger pendant que papa s'occupe de la virilité de ton frère. Chez nous, tu seras aussi ambitieuse que ton frère.

Si un jour, tu décides de faire des enfants, je te dirai que tu n'es obligée de cumuler tous ces rôles dédiés à la femme. Tu n'es pas obligée de taire tes lacunes, tes souffrances pour le bien de la famille. Tu  n'as pas à avoir peur ou honte de demander de l'aide.

Au final, peu importe tes choix de vie, tu n'as pas à te censurer parce que tu es une femme.

Article signé : ADT

Retrouve son dernier article ici: https://www.tantquejeserainoire.com/blog-post/la-depression-chronique-3-adt