14 Aug
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Déconstruisons le culte de la douleur des femmes par Jawu

Au fur et à mesure que je découvre ma vie de femme, je suis toujours un peu décontenancée par la quantité de choses que j’ai à déconstruire, tant le patriarcat a eu le temps de bien planter ses graines et de mariner en moi. Dans le beau monticule de choses que je dois debunker, aujourd’hui, c’est le tour d’une croyance bien particulière que je prenais pour une connaissance acquise. C’est une croyance selon laquelle, tous les aspects et toutes les étapes de ma vie sexuelle et reproductive doivent être accompagnés de douleur, voire de violence. Et pour cause, j’ai grandi dans une société dans laquelle le message qui m’a été continuellement envoyé, c’est que pour être vraiment une femme, non seulement je devais être menstruée, hétérosexuelle et mère, mais qu’en plus, tous ces aspects de la vie qui a été prédéfinie pour moi devaient me faire souffrir. Pourquoi ? Parce que les femmes souffrent, et rien de plus normal. C’est à peine si on ne glorifie pas cette souffrance féminine, surtout pour les femmes noires, et à base de qualificatifs comme “femme forte”.

« Une vraie femme doit savoir supporter la douleur en silence »,

« Les douleurs des règles ne sont pas une raison assez sérieuse pour se rendre aux urgences »,

« On a toutes nos règles et on ne se plaint pas, alors arrête de faire le bébé. »,

« Tu fais semblant pour attirer l’attention, ça ne doit pas faire si mal que ça »,

« Si tu es dans cet état là maintenant, qu’est-ce que tu feras quand tu accoucheras ? »…

Ce sont toutes des phrases qu’on a pu entendre, de la part de nos professeurs, des membres de notre famille ou encore du personnel médical auquel on s’est confiées ou auquel on a demandé de l’aide, pendant qu’on se tordait de douleur, à peine consciente, à cause de nos règles.

Il y a beaucoup d’entre nous qui, pour toute éducation sexuelle, n’ont eu droit qu’au bien connu « Le premier rapport sexuel d’une femme DOIT la blesser, lui faire mal, la faire saigner, sinon elle n’est pas vierge, et ça c’est le drame. ». Et ne parlons pas des « Les vraies femmes n’ont pas peur de l’accouchement par voie basse. La péridurale c’est pour les faibles. Oui, accoucher, ça fait mal et pourtant les femmes accouchent tous les jours. Vous êtes faites pour ça donc vous devriez arriver à supporter sans vous plaindre ». J’ai envie de m’arracher les cheveux rien qu’à penser au nombre de fois où j’ai entendu ces phrases venant d’hommes.

S’entendre répéter des choses d’une telle violence pendant presque toute notre vie, que ce soit à la maison, à l’école, dans les lieux de culte, à l’hôpital ou à travers les médias, ça nous pousse à les intégrer, les intérioriser, et même les perpétuer sans le savoir. Cela n’a l’air de rien, mais ce conditionnement peut avoir des conséquences désastreuses sur la santé sexuelle et reproductive des femmes, et par conséquent sur leur vie de façon plus large.

Par exemple, ça peut nous mener au diagnostic tardif de maladies gynécologiques comme l’endométriose, des kystes ou des fibromes. Cela peut aussi nous mener à la banalisation de violences gynécologiques, et nous exposer plus encore à des violences sexistes et sexuelles de tout type.

Je pense qu’il est important de rappeler  que ce ne sont ni les règles, ni l’hétérosexualité, ni la maternité qui font les femmes. Par contre, que l’on soit menstruée ou pas, hétérosexuelle ou pas, mère ou pas, notre expérience de femme n’est pas obligée d’être systématiquement associée à de la souffrance.

Les règles, ça provoque des crampes qui peuvent être douloureuses, oui. Mais des douleurs insupportables qui immobilisent et handicapent, ce n’est pas normal. Dans ces cas-là, il faut consulter un gynécologue, trouver ce qui ne va pas et obtenir un traitement adéquat dans la mesure du possible. Non, une jeune fille ou une femme qui a atrocement mal à cause de ses règles n’est pas faible, oui, elle a le droit de se plaindre, oui, se rendre au service des urgences est une réponse adéquate lorsqu’on se retrouve roulée en position foetale et incapable de respirer normalement à cause de ses règles, et non, elle n’a pas à taire sa douleur sous prétexte que pour les femmes qui accouchent, c’est pire. On a toutes le droit d’avoir mal et de le dire, et surtout, on a le droit de chercher à atténuer et/ou guérir notre douleur. On n’est pas obligées de l’accepter comme une fatalité.

Autre rappel important : Les rapports sexuels sont avant tout des expériences de partage et de plaisir consenties avec une ou plusieurs personnes de notre choix. Je rappelle que pour tout rapport sexuel, le consentement doit être éclairé, vocal et enthousiaste, sans impliquer aucune forme de coercition.

Nous obliger à croire que nous devions avoir mal, et plus particulièrement pendant notre première pénétration, fait partie de la grosse arnaque qui a été élaborée par le pouvoir patriarcal pour nous priver de notre droit au plaisir, qui, je le rappelle, est lui aussi un droit fondamental. En tant que femme qui a développé une grande anxiété à l’idée de cette supposée douleur obligatoire du premier rapport sexuel, je peux vous dire que je suis tombée de très haut quand j’ai appris par hasard, sur internet et étant déjà adulte, que l’hymen était extensible.

En effet, dans le mythe de la virginité dont j’ai été abreuvée, l’hymen est le portail qui scelle l’entrée du vagin d’une femme. Sa destruction ou son intactitude déterminent la virginité de celle-ci. Dans la réalité, l’hymen est simplement une membrane fine et souple placée à l’entrée du vagin et qui n’a aucune fonction physiologique puisqu’elle n’est qu’un vestige embryonnaire. Il peut se distendre, se déchirer ou tout simplement disparaître, que ce soit dans le cadre d’une pénétration ou pas. Puisqu’elle est extensible, lors d’une pénétration, elle peut s’étirer et ensuite reprendre sa forme initiale, dans la mesure où l’acte n’est pas violent. Donc non, les pénétrations, ni la première, ni la centième, ne sont pas obligées de blesser et de faire saigner.

En ce qui concerne l’accouchement, pour autant que je sache, il est très douloureux dans la majorité des cas. C’est en réalité l’un des plus gros états de vulnérabilité dans lesquels on peut se retrouver. Je n’ai jamais accouché, et justement, c’est pour cette raison que je pense qu’on devrait légitimer les voix des femmes qui vivent cette expérience. Leurs voix à toutes.

Par ailleurs, aujourd’hui encore, les idées reçues selon lesquelles les “vraies femmes” n’ont pas recours à la péridurale ou encore que la meilleure position pour accoucher est allongée sur le dos ont encore la peau dure. C’est vrai que c’est difficile à appréhender et à accepter dans des sociétés où on attache la valeur des femmes à la quantité de souffrances qu’elles peuvent endurer par exemple, mais promis mesdames, accoucher avec le minimum de douleur possible, ça ne nous diminue en rien. Toutes les femmes devraient avoir le choix et l’accès à des méthodes d’accouchement moins douloureuses pour elles.

En résumé, les filles, on n’est pas ici pour souffrir, okay ? 

Même si je sais que des années de conditionnement ne se déconstruisent pas en un article et même si certains aspects de ce que j’appelle le culte de la douleur des femmes ont pu m’échapper, j’espère sincèrement que cet article constituera un bon point de départ dans vos réflexions à ce sujet. J’espère également que vous consulterez un médecin lorsque vous estimerez que vous souffrez trop, et ce, que ce soit pour vos règles ou non. J’espère aussi que j’aurai complété votre éducation sexuelle (n’hésitez pas à faire lire cet article à vos filles ou vos jeunes soeurs, question de prévention), et j’espère que vous vous êtes rendues compte que si vous faites le choix d’accoucher, vous pouvez aussi faire le choix de moins souffrir.

Bisous et à la prochaine.

Signé Jawu M.